blog proposé par Guy Barrier

blog proposé par Guy Barrier
Guy Barrier, expert en communication non verbale - publications et activités: pointer la photo

jeudi 28 mai 2015

L'interaction geste parole, prochain colloque à Nantes


Après Poznan en Pologne, Bielefeld en Allemagne et Tilburg aux Pays-Bas, la quatrième édition de GESPIN (Gesture and Speech in Interaction) se tiendra à l'Université de Nantes,France du 2 au 4 SEPTEMBRE 2015.. GESPIN est une conférence internationale sur la manière dont les gestes et la parole fonctionnent  pour atteindre des objectifs spécifiques. Cette édition aura pour thématique principale « la combinaison des unités de sens dans la gestualité et dans la parole ». Les questions suivantes pourront être abordées :
  • Corrélation des unités dans les différents modes sémiotiques
  • Chevauchements d'unités
  • Contribution des différents types d'unité
  • Modèles multimodaux pour la cognition
  • Translation des différentes unités
  • Gestes et parole en acquisition
  • Gestes et parole dans l'interaction
  • Approches multimodales de l'apprentissage et l'enseignement des langues 

Cependant,des articles concernant d'autres thématiques liées à la relation gestes-parole sont également les bienvenus, ainsi que des propositions de tutoriels et de séances de traitement des données. Les articles et les propositions de tutoriels acceptés seront publiés en ligne (les participants gardent leurs droits d'auteur).

Pour plus d'informations on peut se rapporter au site de la conférence, ou contacter Gaëlle Ferré (LLING, Université de Nantes, Gaelle.Ferre@univ-nantes.fr)

dimanche 15 mars 2015

le visage et l'expressivité des musiciens


On parle peu de la gestuelle et des expressions faciales des musiciens. Le corps à corps exercé sur l'instrument (variations de pression , de fluidité, de saccades, d'amplitude et d'emphase) peut être tantôt discret, ostensif , fougueux , pathétique, et ces variations hautes et basse d'intensité se lisent dans les mouvements gestuels, dans les tensions, relâchements, légères crispations de muscles expressifs . Moins complexes gestuellement, les mouvements de tête ou battements de pieds reflètent le tempo mais ne relèvent pas directement des émotions de l'artiste. 



Le cas du violoniste est intéressant par sa visibilité puisque l'instrument et le visage sont en étroite proximité. Les variations acoustiques (fréquence sonore, volume, staccato, etc) se projettent de façon très sensible dans les coups de tête,  les mouvements des sourcils , les inflexions des coins des lèvres tandis que la mélodie franchit les suraigus ou que les "attaques" de notes se font plus saccadées . Puis les mimiques se convertissent encore lorsque le flux s'apaise allegro ma non troppo  avant de se reconvertir plus gravement en mode mineur . On cite parfois parmi les virtuoses dont l'expression d'empathie avec leur propre production sonore est presque excessive,  Janine Jansen , Mitsuko Uchida , Daniil Trifonov ... Mais le répertoire d'exemples étant illimité limitons nous à  quelques cas de figure.  




Du côté des bois ou les cuivres tels que les saxophonistes, trompettistes...  les muscles inférieurs du visage sont déjà accaparés par le jeu instrumental , donc les inflexions des sourcils sont prévalentes . Parmi les virtuoses comme Miles Davis ou Charlie Parker le visage est souvent imperturbable en dépit de la prouesse mais dans des pics d'intensité les paupières se ferment encore davantage sur les yeux déjà mi-clos comme en adoration . Dans les pentes les plus aigues le muscle intersourcillier se contracte et peut être plus encore chez le trompettiste.  Dans un autre registre du jazz, Richard Galiano est sans doute l'accordéoniste le plus expressif . Il joue aussi très souvent les yeux mi-clos ou fermés en fusion totale, les mimiques du visage inférieur changent constamment  et sont ponctuées par des moues qui rentrent les lèvres à l'intérieur et projettent un peu le menton en saillie  , tandis que du haut du visage émanent des expressions pathétiques, ou encore stoiques dans les tangos argentins de Piazzola
.




Mais une classe de mimiques spéciale est celle des mimiques de concentration des musiciens dans les périodes de forte tension cognitive et motrice  autrement dit lors de passages particulièrement difficiles. L'auditeur sensible au non verbal, apercevra dans ces phases critiques des mouvements d'élévation des sourcils , la contraction du corrugator enter les sourcils  et tout une série de patterns qui déforment visuellement la bouche par des mouvements de flexion inférieure ou latérale, de pression forte des lèvres l'une sur l'autre ,mais aussi parfois de micro expressions et divers patterns en forme de "tics d'expression" 

Certains critiques voient dans ces figures mi tourmentées mi extatiques, une rupture de la continuité esthétique  car après tout objectent ils, on est dans le domaine du sublime et du parfait : ainsi l'artiste ne devrait rien partager des contorsions mentales ou motrices que l'oeuvre exigeante lui impose . C'est aussi ce que préconisent certaines écoles instrumentales et formateurs, par exemple la célèbre technique FM Alexander  préconise l’autocontrôle "pour ne pas gâcher les sensations du spectateur ", elle recommande de paraître  "stoïque" plutôt que de laisser transparaître les marques de l'effort: L'élève recommande-t-on, devrait exprimer sa joie et le plaisir d'être performant  plutôt que d'induire dans les neurones du spectateur, des sensations négatives . A l'inverse sur le forum de Violonist.com , d'autres musiciens qui se sont vus en vidéo disent qu'il n'est pas possible d'avoir un visage de joueur de poker lorsqu'on est au summum de la difficulté. Sur ce forum un violoniste  déclare qu'il est plus performant s'il laisse faire son visage et son corps plutôt que de chercher à les contrôler.  Pour peu qu'on  quitte le domaine de  la musique classique , on peut voir par exemple un Carlos Santana mâcher consciencieusement son chewing gum dans certains solos ce qui permet à la fois de réguler le stress, et d'éviter la formation de patterns faciaux trop visibles . 

Ce thème autour des patterns régulateurs ou gestes de confort nous ramène fortement vers des problématiques de l'expression orale où les locuteurs se demandent s'il vaut mieux croiser les mains et éviter les gestes parasite (et finalement ne sachant pas  trop ce qui les caractérise ainsi on élimine les gestes tout court)  . Comme le note un autre contributeur  du forum  Violonist.com, on "joue mieux quand on bouge que lorsqu'on reste figé". Cette remarque de bon sens n'est  pas sans rappeler les théories fondamentales du geste (1) qui ont révélé la notion de charge cognitive pendant la parole et le besoin afférant de mouvements de confort  et réassurance  .



(1) La communication non verbale , J Cosnier , A. Brossard & al. (1973). Delachaux et Niestlé.


jeudi 18 décembre 2014

empathie , mimétisme corporel, synchronisation



Jacques Cosnier a été interviewé récemment par le site Doctissimo  à propos de l'empathie. S'intéresser à l'empathie c'est savoir  appréhender ces  mouvements de la pensée qui nous permettent d’attribuer des états mentaux à autrui en nous mettant à sa place (et parfois d’anticiper ses comportements ). Mais sans  compétence empathique nous ne serions pas capables de comprendre les gestes d'une personne ni les expressions émotionnelles de son visage. Ceci est d'ailleurs à la base du problème des autistes . En voyant telle émotion sur un visage, nous activons dans notre cerveau des régions similaires à celles qui sont recrutées dans la tête de notre interlocuteur . Ce qui nous permet de générer intérieurement la même émotion afin de la ressentir puis la reconnaître .


Cosnier a développé en même temps que le concept d'échoisation, cette idée de "convergence communicative" que révèlent des sourires et mimiques en commun , mais aussi des hochements et changements de postures synchrones.  Ce sont souvent des expressions positives non conscientes explique t-il, sous tendues par une certaine affiliation ou intimité. On parle parfois de « danse des acteurs » , pour illustrer que chaque initiative corporelle d’un acteur induit des ajustements de son interlocuteur. Parfois  nous répliquons aussi des aspects de la voix de notre interlocuteur, son rythme, ses intonations , ses pauses , ses "euh"  , son accent parfois, voire même le cas échéant son bégaiement . 

Des méthodes de développement personnel proposent d'induire volontairement ce mécanisme en modélisant  des postures , gestes d'autrui pour  modifier son état interne mais pour créer une similarité perçue qui permettrait d'améliorer la relation. En PNL une des techniques (plus complexe que le simple miroring)  propose même de transposer dans un autre registre un geste de la personne,  par exemple de modéliser  notre respiration sur le battement rythmique de sa jambe .
Il n'est pas avéré que les neurones miroir se laissent aussi facilement prendre au jeu lors de négociations ou dans des stratégies de séduction, comme certains blogs le laissent entendre. Par contre ces "stratégies" ouvrent une réflexion intéressante sur la CNV en relation d'aide et de soin . En établissant une certaine résonance corporelle et en faisant écho à certaines modalités expressives de la personne telles que son tempo,  il est possible de lui montrer des similitudes qui  créent un sentiment de familiarité et des passerelles rassurantes .  

Mais une discrimination fine et experte doit prévaloir pour éviter les contresens, par exemple  un aidant  qui n'aurait pas accompli un travail d'intelligence émotionnelle, risque de laisser transparaître quelques traits de l'inquiétude  en face d'un visage inquiet . Enfin si le rôle des hochements a été largement étudié , une question toujours non résolue est celle des patterns faciaux de l'empathie: résonne-t-on à la souffrance d'autrui avec une légère expression de tristesse cognitivement contrôlée ? avec une légère modalité de sourire qui préfigure l'espoir ? ou bien est-ce une sorte d'émotion mixte qui incorpore ces deux composantes visuelles ? 

En savoir plus:
Marie-Lise Brunel, Jacques Cosnier, L'empathie. Un sixième sens, Lyon, PUL (2013)
Guy Barrier  Les langages du corps en relation d'aide . chap. 4 sur l'empathie. ESF Editions (2013) 
Margot Phaneuf  La synchronisation, un moyen à la portée des infirmières  , texte en ligne 




lundi 20 octobre 2014

Les gestes de la tête en feedback permettent ils aux interlocuteurs de s'accorder ?





Dans le dialogue, nous retournons de temps en temps  à notre interlocuteur certains hochements de  tête  qui peuvent être accompagnés de  feed back verbaux (oui, hum , d'accord... ) . Ces signes visuels et acoustiques, ont pour but de permettre d'apprécier l'accordage entre  deux interlocuteurs : est ce que le message est reçu 5 sur 5 ?  Si oui, est on sur la même longueur d'onde ?  Nous verrons que ces signes qui sont censés lever l'incertitude  et éviter les incompréhensions sont à vrai dire, assez ambigus . 

Observons déja que tout comme les gestes , l'intensité des mouvements de tête approbateurs, peut varier , de même que leur amplitude , leur vitesse … Ils peuvent devenir plus fréquents en réaction à certaines paroles ou au contraire se raréfier. Cela dépend du degré de compréhension du message, mais aussi de son acceptation , de l'adhésion  aux idées qu'il véhicule.  
A vrai dire, les gestes de la tête verticaux peuvent  signifier sur une échelle progressive :
- l'attention pure et simple  que chaque partie accorde à l'autre  (j'écoute)
- le décodage et la compréhension des paroles échangées (je comprends)
- l'intérêt éprouvé envers ses propos, la valeur qu'on leur attribue (ça m'intéresse)
- l' accord , partiel ou complet  (exactement ! tout à fait ) 

Certaines intensités typiques de l'expression corporelle et vocalique permettent de percevoir ces différences  .

Ainsi une large rotation de la tête de haut en bas, révèle plus explicitement notre accord qu'un discret hochement . D'ailleurs certains hochements routiniers  accompagnés accessoirement de oui .. oui ... ou hum hum (bouche fermée, articulation zéro...) reflètent seulement qu'on est à l'écoute ,ou qu'on veut en donner l'impression. 

Ces signes semi automatiques ne reflètent pas avec certitude que le message a bien décodé par son destinataire, ni a fortiori que celui-ci est d' accord . En effet, socialement, le fait de ne retourner aucun signe visuel ou acoustique d'écoute active est inattendu , voire même de nature à déstabiliser celui qui parle ( ce que font volontairement certains négociateurs). Qui plus est , dans le cas d'une relation non symétrique, celui qui est en position inférieure a peu intérêt à montrer de signes d'incompréhension : sa compétence ou sa vigilance pourraient être mises en question (ex: entretien de recrutement). 

De ce fait, les signes "phatiques" ou accusés de réception peuvent refléter seulement une intention polie. Ce comportement adaptatif a d'ailleurs été confirmé lors d'une expérience originale[1]. Les sujets écoutaient une histoire racontée par un camarade mais pour les distraire il leur était demandé d'appuyer sur un bouton lorsqu'ils entendaient certains mots.  Les signes non verbaux étaient repérés selon 3 classes   :
(1) j'entends bien ce que tu dis
(2) pour moi c'est clair, je comprends
(3) je suis d'accord

Lorsque les sujets étaient distraits à cause de la tâche d'analyse à accomplir  en parallèle (bouton) , les feed back de compréhension (classe 2) diminuaient , mais pas spécialement les signes d'écoute , voire même au contraire  (classe 1) . Un peu comme si le fait de ne pas avoir compris le message était discréditant et méritait d'être compensé par des signes de bonne réception .   Autrement dit, être un bon auditeur, ne signifie pas que l'on ait bien décodé  et compris le message . Les  signes d'accordage superficiels servent plutôt dans ce cas à rassurer l'interlocuteur , à montrer des signes de coopération et à se rassurer soi même sur la maintenance d'une bonne relation . 

Par exemple, tel étudiant au premier rang qui a du mal à suivre un cours de philo mais renvoie à l'enseignant plusieurs messages par les gestes de la tête et qui pourraient signifier selon leur intensité et fréquence :  (a) je suis très attentif , (b) ce contenu est pertinent et ça m'intéresse, (c)  je comprends de A à Z , (d) je suis bien d'accord avec votre analyse .

De même on observera que les journalistes qui interviewent une personnalité ont souvent tendance à acquiescer systématiquement pour faciliter la parole de leur interlocuteur  tandis que le contenu  même de leurs questions ou l'intonation un peu sceptique peut montrer qu'ils ne sont pas spécialement d'accord. L'accordage porte donc seulement sur les signaux suivants: (a) je suis tout ouie , (b) c'est pertinent, (c) je comprends clairement . Mais il laisse supposer au-delà  et inconsciemment une possibilité de consensus  (j'acquiesce parce que je suis d'accord ) qui encourage l'interviewé . 

Un point resterait alors à explorer: est ce que ces feintes d' approbations empathiques du journaliste n'ont aucune influence "subliminale" sur les téléspectateurs indécis et sans opinion qui regardent l'interview ?  











[1] Buschmeier  & al. ‘Are you sure you’re paying attention?’ – ‘Uh-huh’ Communicating understanding as a marker of attentiveness. Proceedings of INTERSPEECH 2011. International Speech Communication Association: 2057–2060. Document disponible sur le Web.

mercredi 11 juin 2014

Entretien de recrutement et impact des indices non verbaux

Une étude publiée par des psychologues du travail, a pour vertu de remettre en question quelques idées reçues sur l'entretien de recrutement, qui sont colportées par certains ouvrages, blogs et articles depuis des décennies. L'idée force de cette littérature de kiosque est que le candidat doit s'attendre fatalement à se faire déstabiliser par des questions piège . Cette perspective peu engageante peut ainsi entretenir chez lui un supplément d'anxiété . De fait , ces croyances entretenues pour faire de l'audience, peuvent biaiser la validité du processus de sélection en affectant la performance du postulant face à « l'adversité » .

Mais n'assiste-t-on pas aux mêmes craintes et croyances s'agissant des « signaux corporels » en recrutement ? Certaines études défendent par exemple, que les recruteurs vont se faire une première impression selon des indices corporels dès les premières minutes, puis chercher à conforter par la suite cette impression en retenant les indices mis par exemple, sur le compte de l'introversion. 

Du coup , l'apparence donnée en début de l’entretien aurait un effet décisif sur la probabilité d'être sélectionné. Admettons que fort souvent, ce sont au contraire les dernières impressions qui resteront en mémoire d'un jury (d'où l'utilité de prévoir une belle conclusion ) . D'ailleurs les meilleurs orateurs , au début d'un conférence ou d'un émission sont plus tendus comme le montre leur mimo-gestualité.

Concernant l'impact de l'image corporelle dans la prise de décision , un auteur pense que plus la communication non-verbale est à l'avant plan ( persuasion , séduction) plus elle influence les impressions du recruteur, alors que si le non verbal est « neutre », c'est plutôt le contenu verbal qui infléchira la sélection. Cela voudrait donc dire que moins on est expressif, et plus on a de chances d'être jugé sur ses qualités propres . Les recruteurs ignorent généralement quel canal d'information (verbal, non verbal) a prédominé dans leur choix. De fait le poids respectif de ces deux sources d'information dans la « balance » du jugement psycho-cognitif devrait être davantage questionné.

Sur ce thème , une étude intéressante montre l'influence des préjugés favorables sur les interactions : les recruteurs se montraient plus agréables dans leurs gestes et propos quand ils auditionnaient une personne dont le dossier préalable étaient prometteur. Dans la conduite de l' entretien , on observait qu'ils étaient plus détendus et chaleureux avec ces candidats qu'avec les autres (voix, regard, humour, disponibilité...). Ce qui déclenchait alors un effet en miroir : plus ils étaient souriants, dynamiques et bienveillants avec les personnes auditionnées et plus ces dernières étaient à leur tour interactives et physiquement engagées dans le dialogue.

Dès lors , si les recruteurs s'intéressent aux signes corporels des candidats, ils devraient aussi avoir conscience de ce qu'ils induisent à partir de leurs propres postures, sourires, moues sceptiques, froncements de sourcils, bras croisés, tapotement des doigts, etc ... En outre, la méthode par elle même de l'entretien de sélection est loin d'être une science exacte et présente une faible validité méthodologique . 

Autre biais dans l'évaluation: le candidat est censé refléter son « caractère » par des signes corporels , mimiques et postures inconscients . Mais cette interprétation peut être faussée par le face work ou travail de l'apparence : les coachs et leurs « règles d'or » lui conseillent de faire davantage de sourires,  des acquiescements empathiques, d'éviter les tics , gestes-barrière etc . Les recruteurs ont ils les compétences requises pour se livrer à un tel « test de personnalité » en fonction de la carte de visite corporelle du candidat ? Un DRH peut-être (selon sa formation) , mais un ingénieur en informatique pas forcément .

Il ressort cependant d'une multitude d'études que les recruteurs accordent tous de l'importance aux mêmes critères : le contact de regard, la fluidité verbale, le tonus corporel , le dynamisme vocal, une gestualité centrifuge plutôt qu'autocentrée. Entre autres expériences, il a été montré en séparant deux groupes de candidats (intro-extravertis) que 89 % des recruteurs souhaitent auditionner les plus souriants et dynamiques tandis que ceux qui évitaient le contact du regard, avaient un faible tonus et hésitaient beaucoup, n'était pas invités une deuxième fois. 

Enfin comme indiqué, la validité de l'entretien est contestée par une multitude d'études et méta-analyses. Entre autres à cause du manque d'homogénéité des critères. On distingue les entretiens dits structurés qui répliquent la même grille d'évaluation d'un candidat à l'autre, et les entretiens non structurés où les questions sont plus aléatoires et peuvent dériver plus facilement . Or une étude révèle que lors des entretiens non structurés (en quelque sorte improvisés) , les comportements non verbaux "à éviter" ressortent davantage que dans l'entretien structuré , plus propice au jugement objectif .

En résumé, le comportement non verbal en entretien ne doit pas être négligé par l'évaluateur en tant qu'aide à la décision , mais il devrait être regardé avec un minimum d'expertise en évitant la sur-interprétation et le décodage profane. "Ce n'est pas en observant le postulant se gratter l'œil ou la manière dont il croise ses jambes, que vous saurez ou non, s'il fait l'affaire pour le poste" disent les auteurs d'un ouvrage cité ci-dessous. 

Références

ROULIN N.  BANGERTER A. (2009)  La littérature de conseils : source de croyances populaires sur la relation recruteur-candidat lors de l'entretien de sélection ? texte en ligne 

- ouvrage des mêmes auteurs: Réussir l'entretien d'embauche comportemental. De Boeck (2012) 

T.W. DOUGHERTY  et al. (1994), Confirming first impressions in the employment interview : a field study of interviewer behavior. journal of Applied Psychology, 79/5, 659-665.

NOUKOUD A.  (2000) La communication non verbale dans l’entretien de sélection . Communication & Organisation N° 18

BARRIER G. (1999) L’entretien de recrutement : problèmes de validité et processus d’induction inter-acteurs . Communication et Organisation, n°14



mercredi 23 avril 2014

La pupille comme indice: les limites de l'observation à l'oeil nu

Nous avons déjà envisagé sur ce blog ( note 1), le rôle que pouvaient jouer les indices oculaires dans la reconnaissance des processus cognitifs ou émotionnels d'une personne : clignements des yeux, mouvements de la pupille, dilatation ou rétraction de la pupille. Ces indices font partie de la communication non verbale , mais sont plus difficiles à interpréter que les gestes et expressions faciales . Les méthodes d’observation en laboratoire et l’observation clinique ont montré cependant certaines relations entre les phénomènes oculaires et le cerveau. Mais une grande partie partie des expériences sur la pupille menées notamment en marketing sensoriel ont souffert d'un biais, celui de la variation de luminance lors de la présentation des stimuli. 

C'est un des problèmes auxquels s'est intéressé Thierry Baccino , professeur de psychologie cognitive et directeur scientifique du LUTIN, qui cumule des décennies d’observation des phénomènes oculaires derrière l'eye tracking. Hormis son expertise sur la lecture et la lecture numérique  il s'intéresse aux phénomènes attentionnels de la conduite . Entre temps, la variation du diamètre pupillaire est devenu un sujet assez populaire dans les revues et blogs de développement personnel. Il m'a donc semblé opportun de lui demander son avis sur le sujet suivant : la dilatation de la pupille permet elle d'interpréter les états d'âme d'autrui ?

J’aimerais revenir sur deux études sur la variation pupillaire dont vous êtes co-auteur  (réf. note 2) .  Dans la première les sujets ont des taches de lecture ou de calcul , dans la seconde pendant qu'ils conduisent virtuellement ils reçoivent quelques alertes sonores stressantes. Est ce que ces deux types d’expériences ont révélé des choses différentes ?

T.B. : Les deux études sont complémentaires : la première expérience s’attache à montrer comment on peut analyser le diamètre pupillaire (qui est un signal tres bruité) en décomposant ce signal et en retirant les effets qui ne nous intéressent pas ...

... Quels effets non pertinents par exemple ?
T.B. : Par exemple, l’effet de la lumière qui justifie en grande partie la dilatation pupillaire, tandis que les autres effets sont dus aux traitements cognitifs. C’est la raison pour laquelle nous avons comparé plusieurs conditions qui variaient selon l’importance de la tache (détecter des lettres est plus simple que compter mentalement,…).
La seconde expérience visait à montrer comment des indicateurs du stress pouvaient être extraits du signal pupillaire. En utilisant des techniques informatiques, nous montrons qu’une classification du niveau de stress peut être obtenue (sur une tache de conduite). L’objectif serait de pouvoir détecter en temps réel le niveau de stress d’un conducteur de manière à pouvoir lui donner des messages d’alerte.

Selon vos études les variations de la pupille semblent  infimes en durée et en amplitude . Pourtant on lit souvent qu’en l'observant à l'oeil nu, on pourrait détecter le stress  . Qu’en pensez vous ?
T.B. Non il n’est pas possible d’observer à l’œil nu la dilatation pupillaire qui serait due au stress. Cette composante est fortement mélangée avec la composante lumière et c’est la raison pour laquelle il faut trouver des méthodes pour isoler les effets lumineux. Le niveau de stress n’est que le résultat de ce filtrage de la lumière (prenez la métaphore du chercheur d’or qui tamise des tonnes de sable pour ne conserver que des paillettes d’or, au départ ce n’est que l’eau sablée).

source: International Journal of Human-Computer Interaction.  réf.  b) ci dessous

Métaphore très parlante de l'expert, laquelle inciterait donc à tempérer les "décodages" hâtifs, tout comme la figure ci-dessus . Sur ce graphe, les variations d'amplitude sont corrélées à des sons stressants et la luminance est parfaitement contrôlée. Elle montre la finesse des variations du diamètre pupillaire, exprimées en millimètres, soit un dixième de mm en pic d'amplitude ce qui n'est pas très spectaculaire à l'oeil nu … De même, sur l'échelle de temps, la variation est assez éphémère . En résumé, un phénomène d'une granularité très fine, souvent adossé à des biais de luminance, et dont l'interprétation nécessite des protocoles bien contrôlés.



(1) Articles précédents sur ce blog concernant les indices oculaires :






(2)  Référence des études citées:
  • (b) Pedrotti, M., Mirzaei, M.A., Tedesco, A., Chardonnet, J.R., Mérienne, F. & Baccino, T. (2014). Automatic stress classification with pupil diameter analysis, International Journal of Human-Computer Interaction, .30, 1-17.


 

jeudi 6 mars 2014

questions de communication : expressivité gestuelle, quels effets sur un auditoire ?





La fonction expressive du geste entretient des relations directes avec la régulation de l’attention, la persuasion, la motivation . La manière dont nous occupons l'espace gestuel dépend de critères comme la fréquence des gestes, leur tonicité , leur amplitude. Certains orateurs font des gestes larges et très visibles, tandis que d'autres contrôlent cette gestualité (par exemple en croisant les bras tout en parlant, ou bien en joignant les deux mains devant leur thorax en forme de pyramide). 

Une question au passage : ceci dépend il plus ou moins du caractère ? Rares sont les essais en laboratoire à ce sujet,  mais ils concluent que les sujets les plus éloquents semblent être les plus expansifs gestuellement . D'autres tests montrent que les personnes aux gestes les plus expansifs obtiennent les scores les plus élevés aux questionnaires d’extraversion et ascendance . Des psycholinguistiques observent également que les hésitations verbales vont de pair avec des gestes rétrécis , autocentrés et que lorsque la parole redevient plus fluide, elle s’accompagne alors de gestes plus centrifuges et larges.

Mais quel va être l’impact de l’expansivité gestuelle sur l'interlocuteur?  Cet effet visuel n'est pas linéaire. Si d'un côté une gestuelle tonique peut restimuler l’attention (tout comme les variations intonatives d’un orateur ), trop de gestes omnidirectionnels peuvent jouer un effet de distracteur . 
Voici un premier exemple:  dans cette interview Jean François Kahn développe comme souvent , des gestes amples et de grande altitude (niveau supérieur aux épaules, à la tête…) . On peut remarquer la symétrie de ces gestes, bimanuels pour la plupart. 

vidéo 1

Certains  de ses gestes sont analogiques et illustrent ainsi la parole : 

- il y a une France d’en haut, du très haut …
- un monde completement refermé sur lui-même /complètement clos/ complètement coupé 
- une bulle qui grossit 
- elle n’enveloppe qu’une petite minorité 

Par contre d’autres gestes similaires du communicateur n'ont aucune pertinence sémantique (pas de connexion avec le contenu verbal) et servent à donner de l’emphase.   Or une gestuelle ininterrompue n’exerce guère d’impact positif sur l'attention , tout comme un texte qui serait continuellement souligné.

A présent, un autre exemple de personnage  hyper-expressif est l'écrivain Daniel Picouly. Dans cet extrait  , une certaine forme de saturation visuelle s’installe qui peut capter l'attention, mais sans pour autant jouer en faveur  de la «lisibilité» du message oral:


vidéo 2

Ces gestes sont très centrifuges et  omnidirectionnels . Ils peuvent présenter quelque analogie avec le discours de l’interviewé sur la foule, le mouvement, l'émergence,  la surprise.  Mais dans ce contexte leur omniprésence peut  devenir une source de bruit et induire du partage d’attention , une instabilité du modèle mental . On compare parfois la  perception des gestes co-verbaux à une balance entre la forme et le fond,  où la parole  occupe l’avant plan et le geste l’arrière plan. Or ce rapport perceptuel forme/fond peut être inversé .

Dans la dernière vidéo suivante , plusieurs fois la caméra renvoie l'image de dos et en zoom arrière pour éviter le hors champ. En effet de nombreux gestes de l'interviewé dépassent le format de cadrage . On parle également de complexité gestuelle pour décrire ce genre de déploiement  dans l'espace gestuel qui s'appuie sur une large variété de formes  (observons également les expressions faciales de l'écrivain qui varient constamment).



vidéo 3 (fermer  la pub de TF1 pour la lire,merci)
Ces brefs exemples illustrent donc une problématique insuffisamment prise en compte en formation à la communication . Si un certain ratio d’ expansivité et de complexité gestuelle peuvent être perçus par l'auditoire comme des signes de dynamisme du communicateur, le niveau adéquat d'expressivité pourrait se situer entre les deux polarités extrêmes de la contention motrice et de son complet lâcher prise.


jeudi 9 janvier 2014

Le "langage des yeux" et la PNL: postulats invérifiés et part de réalité


Une méthode de communication très utilisée en PNL s’appuie sur les célèbres « clefs d'accès visuelles ». Selon des observations empiriques de Grinder et Bandler  cette cartographie des mouvements oculaires en 6 positions permettrait de détecter si notre interlocuteur pense à un stimulus acoustique, visuel, ou kinesthésique . Et ceci selon deux modalités :  pensée remémorée , ou bien pensée construite au moment où il nous parle.  Un modèle qui résiste au temps, en dépit de l’absence de preuves empiriques. Cette piste a d’ailleurs même questionné les experts en psychologie criminelle : si elle était valide , elle aiderait à détecter le mensonge, à l’œil nu ou par suivi numérique du trajet oculaire . En effet la rotation des yeux vers la droite est corrélée selon la PNL aux pensées construites , et  la rotation  vers la gauche au rappel des souvenirs stockés en mémoire .

Ainsi que nous l’avons déjà vu dans ce blog, quelques études ont montré que la rotation de la pupille était corrélée à l'activité cognitive . Mais selon la littérature expérimentale les 6 positions codifiées par la PNL selon le modèle VAK (visuel, auditif, kinesthésique) , ne  rencontrent pas d'évidence  neuropsychologique  robuste. La plupart des études ont été menées dans les années 80, puis après un creux de la vague, le sujet a été discuté à nouveau .  En voici un aperçu.
Lors de diverses expériences publiées par la revue Perceptual and Motor  Skills (1980, 1985 , 1985b, 1986) des sujets ont été invités à se rappeler des images visuelles, certains bruits ou sensations kinesthésiques . Les tests de Ki Deux, montraient que les trajectoires oculaires ne concordaient pas avec celles que postule le modèle VAK. Dans cette même revue (1987) une étude  signée par des expérimentateurs apparemment experts en PNL, critique ces résultats car dans la collecte des indices oculaires, ils font  abstraction du profil sensoriel typique du participant  . Une autre expérience dans le numéro d’aout 88 montre que les réponses oculaires d’un groupe d’aphasique différent de celles de sujets normaux (cf. également sur ce blog : le regard d’évitement en schizophrénie) . La cartographie en 6 points peut à tout le moins, servir de grille d’observation fonctionnelle, à défaut d’en partager les conclusions interprétatives.

A cette même époque, plusieurs études dans le Journal of Counseling Psychology . La première (1984) conclut  que le mode de représentation sensoriel VAK  identifié depuis le  mouvement des yeux, ne révèle pas dans les tests interactifs, une meilleur accordage de communication . Mais un biais de cette étude est de tester à la fois la codification des yeux et son application relationnelle. La seconde étude (1985) révèle l’absence de liaison entre les positions oculaires VAK et les consignes orales  de rappel en mémoire . Par contre la troisième(1987)  suggère que les indicateurs oculaires des modalités visuelles et auditives (mais pas kinesthésiques) sont significativement corrélés. On remarque toutefois que les juges chargés de codifier les mouvements des yeux générés par les questions étaient des experts en PNL  et non pas des « juges naifs ».


Revenons aux études actuelles, assez rares  : davantage orientée sur la détection du mensonge, l’expérience du Pr Wiseman (2012) consiste à demander à des sujets de mentir en condition A , et de dire la vérité en condition B. Sur la base de leur passage devant la caméra, leurs mouvements des yeux étaient codés selon  la typologie utilisée en PNL, mais cet étiquetage ne montrait aucune concordance significative avec la construction du mensonge. Une sous-partie de l’étude menée avec l’expert S.Porter déroulait les interviews de presse, de personnes ayant prétendu avoir été victimes de crime : les unes à juste titre, les autres  de manière démentie par le dossier judiciaire.  A l’intérieur d’un large spectre d’indices corporels observés parmi les menteurs, le modèle des mouvements oculaires ne montrait pas d’efficacité prédictive.

Enfin, l’université polytechnique de Bucarest  a élaboré récemment un  modèle automatique de reconnaissance de la direction des yeux en interrogeant les sujets selon le modèle VAK de la PNL.  Les auteurs remarquent certaines concordances , mais notent surtout qu'il y a des liaisons « subtiles » entre différentes  modalités d'activité mentale et des directions de mouvements oculaires  .  S’il parait assez peu probable d’objectiver un modèle universel de type VAK, il est indéniable que certains patterns de mouvements oculaires peuvent être remarqués  de manière stable chez des personnes quand elles  se remémorent un évènement, font du calcul mental, recherchent une date , un nom ..

En effet on remarque régulièrement en faisant passer des tests eye tracking, que l’œil des  sujets réagit différemment lors de processus cognitifs, mais avec des régularités intrinsèques à chaque personne .  En revanche lorsqu’une personne se remémore un objet, un mouvement, ses trajets oculaires ou scanpaths ont tendance à modéliser les propriétés spatiales de ce référent imaginaire. Enfin, selon la complexité du processus cognitif engagé par la question de l’interviewer (ex: croisement de données mémorielles), on remarque des trajectoires oculaires  plus ou moins complexes et non réductibles à une direction spatiale.

En résumé si le diagramme en six positions de la PNL n'a pas prouvé sa pertinence à révéler des modes sensoriels de représentation interne,  le mouvement des yeux reste un "insight" intéressant de l’imagerie mentale . Il est d'ailleurs plus facile à détecter à l’œil nu, que les variations de la taille de la pupille (cf. article sur ce blog)  . Ces réserves sur la validité du  modèle VAK ne remettent pas en question le potentiel thérapeutique de la  PNL,  ni son efficacité comme technique  pragmatique de communication.  Mais sans doute le modèle mériterait-il d’être revisité en fonction de ce que les neurosciences nous ont appris depuis les relevés cliniques de Grinder et Bandler .



mardi 3 décembre 2013

geste , interprétation analogique et empathie


Parmi les auteurs des recherches scientifiques fondamentales sur les gestes, Jacques Cosnier me semble être celui qui a le plus explicitement montré que notre capacité à interpréter les  gestes ou expressions  faciales , était fortement liée à des compétences empathiques . Parlons plus spécialement du geste : lorsque nous regardons un geste technique, par exemple celui d'un sportif, d’un artiste , notre cerveau en fabriquant la représentation interne de ce geste , active des processus similaires à ceux que l'exécutant mobilise. On peut constater  la même chose à propos des gestes référentiels (avec en aval un traitement symbolique de la forme) . Ces gestes , qui peuvent être illustratifs , picto-mimiques ou iconiques,  dessinent en l’air un modèle spatial de l'objet que l'émetteur veut illustrer.

Il peut d’ailleurs s’agir de gestes sans parole (ex. du mime) ou co-verbaux (ex .d'un professeur de langue étrangère). Ce thème m’amène à revenir vers une étude durant laquelle je devais analyser par quels processus mentaux  les spectateurs d'une scène gestuelle, récupéraient l'information visuelle de ces gestes . Grâce aux caméras intelligentes eye tracking, la  micro analyse des mouvements oculaires au point par point , permet de comprendre les opérations mentales du spectateur de ces gestes.
  
Dans cet exemple l’ actrice, Emilie, explique les vertus d'un grand flacon cosmétique , les gestes iconiques délimitent la taille , le volume et le forme de cet objet. Le geste vient donc renforcer et illustrer la parole, leur fonction est référentielle. Les tracés oculaires du récepteur montrent qu’en moins de 2 secondes, il a modélisé les proportions et points extrêmes de l'objet imaginaire.



 Les cercles correspondent aux points de fixation du regard (généralement de 1/3 de seconde à une ou 2 secondes ) . Plus leur diamètre est élevé et plus la fixation oculaire est longue. 
image eye tracking, UMR 5024 cnrs

Grace aux tracés de l’eye tracking, la décomposition spatiale du parcours oculaire nous permet de reconstituer le décours temporel des opérations mentales. Autrement dit ,les points intermédiaires sur lesquels s'appuie le regard sujet spectateur pour instruire les entrées sensorielles et les points spatiaux de son travail de représentation cognitif. Le tracking oculaire de l’objet virtualisé par les mots, génère  du coté de ce spectateur, des  mouvements oculaires qui modélisent la structure et les contours d'amplitude du geste  . De façon très visible, ses trajectoires oculaires se structurent selon les propriétés spatiales de l'objet . Cette ressemblance spatiale et motrice entre le geste et la poursuite oculaire suggère que les cognitions de l’émetteur et du récepteur sont  en cohérence.   .

On pressent bien ici une forme d’empathie cognitive, puisque les sujets qui regardent le geste internalisent la figure visible et reconstituent le « vouloir dire » de l’émetteur.  Au final, émetteur et récepteur , dans une subjectivité partagée, développent un processus homologue :
-  l'émetteur en parlant s'appuie sur des repères spatiaux et moteurs pour générer des gestes analogues à l'objet          
- le récepteur reconstitue une carte de la réalité grâce à la "représentation graphique" que lui fournissent les contours du tracé gestuel dans l'espace. 

Un exemple d'expérience qui invite à approfondir la fonction des neurones miroir et de l'empathie dans la communication symbolique.

vendredi 4 octobre 2013

interview à propos de mon livre "les langages du corps en relation d'aide "




Cette interview de Hugues Hippler (avril 2013) est accessible sur le lien :

http://www.la-communication-non-verbale.com/2013/04/guy-barrier.html

lundi 30 septembre 2013

mouvement des yeux, cerveau et cannabis


Plusieurs articles précédents nous ont permis de constater  que les mouvements de l'oeil apportent des indices pertinents pour évaluer des réactions comportementales face à telle situation. Parmi les multiples facteurs pouvant infléchir la vigilance, la consommation de cannabis. Une étude  assistée par eye tracking , s‘est intéressée à cet aspect assez inattendu .

Plusieurs tests ont permis d’évaluer les réponses réflexes et motrices de sujets ayant fumé une  cigarette de marijuana . Par exemple on leur présentait une cible en mouvement sur un écran, ou ils devaient repérer des diodes sur un tableau  en pressant sur  des boutons correspondants. Puis, ils devaient localiser dans les mains d'un personnage la présence d'un objet. Les trajectoires des yeux étaient donc analysées selon leur vitesse et précision par la caméra eye tracking.

Au final, les mouvements de l’œil  enregistrés, révélaient une plus grande difficulté de ces sujets à suivre les stimuli visuels, comparativement aux sujets-placebo réalisant les mêmes épreuves : on remarquait à la fois une diminution de vitesse de la poursuite visuelle dans le champ focal mais aussi dans le champ périphérique (lequel permet de s’adapter à un stimulus aparaissant latéralement , par exemple lors de la conduite) . Un autre  test montrait que le délai de variation du diamètre pupillaire à un signal lumineux, est plus élevé après une cigarette de marijuana . Ces différents effets subsistaient même après les 5 heures qui suivent la consommation d'une cigarette.


Sur un plan plus général , on sait que le mouvement de l’oeil est un indice très fidèle des processus cognitifs , comme le montrent d’autres études sur les effets de barbituriques, opiacés, etc . Des expériences analogues ont montré un amenuisement de la concentration, mais aussi de la coordination multitâche et  de la mémoire de travail sous l’effet du THC lors de tests menés en contexte de simulateur de vol . Pour mémoire un accident d'avion enregistré à l’aéroport de Newark aux Etats Unis en mars 1983, révélait que les deux  pilotes avaient consommé de la marijuana dans les 24 heures précédant l'accident. D’autres accidents relevant de ce même facteur de risque, ont été mentionnés dans les annales.


En laboratoire, des tests avec simulateurs de vol menés avec des pilotes , ont montré que ceux qui avaient consommé du cannabis  présentaient une détérioration significative de leurs performances de vol , pouvant même persister le lendemain . Hormis les  erreurs de navigation et d'orientation , des sous-performances apparaissaient dans les grands écarts d'altitude, le stockage et la perte d'événements de contrôle, mais aussi des décalages temporels, avec par exemple des difficultés à maitriser l'atterrissage. Une étude de l’American Journal of Psychiatry suggère que la consommation de cannabis n'est pas aussi rare qu’on pourrait le penser parmi les pilotes , certains même admettent avoir déja conduit avec du THC dans le sang...

D'autres expériences montrent que l'exposition au cannabis révèle, lors de taches complexes des difficultés de coordination psychomotrice en raison des perceptions spatiales et temporelle qui sont déformées , mais aussi des légères modifications de perceptions sensorielles, visuelles, auditives  . Sous un autre angle ces  perceptions subjectives de l'espace, du temps et des sens, peuvent induire des performances créatives ou artistiques mais la littérature scientifique est beaucoup moins documentée sur ce sujet là.  Quelques études constatent une plus grande activation hémisphérique droite  chez le consommateur , soit un fonctionnement plus holistique que séquentiel , l'aptitude à générer des idées inédites au-delà des associations ordinaires . D'autres  rapportent que cette activation hémisphérique est bilatérale.  Egalement de nombreuses cartes en neuroimagerie ont montré sous l'effet du cannabis (immédiat et à long cours) une augmentation de l’activité corticale générale et par la libération de domapine,  une désinhibition de l’activité des lobes frontaux , mais aussi une activation spécifique de l'aire de l'insula qui est fortement impliquée dans l'intégration sensorielle.

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Références:

Brain Neuroimaging in Cannabis Use: A Review . Journal of  Neuropsychiatry and Clinical Neuroscience 
Acute and residual effects of marijuana in humans.. Pharmacology Biochemistry Behavior


samedi 20 avril 2013

Un nouvel avatar de l’affective computing - Sim Sensei le psy virtuel



Plusieurs articles ont déjà été consacrés  dans ce blog  à ces  personnages virtuels qui sont capables de dialoguer avec nous de façon  verbale et non verbale. Ces interfaces  soulèvent tout de même quelques problèmes communicationnels  bien qu’elles soient en mesure de gérer  « de manière autonome » certains scénarios d’interactions.  Par exemple en enseignement à distance il a été montré qu’une forme de transfert  s’effectue vers les compagnons pédagogiques animés  ( on qualifie de persona effect,  ce transfert dirigé vers un avatar graphique parlant qui peut coacher un élève). 
Mais  la réflexion  critique ne devrait pas s’estomper  : en effet  les domaines où la présence d’humanoïdes paraitrait incongru  semblent se raréfier   (on pense aux agents conversationnels de compagnie , aux robots soignants développés par une université japonaise etc...)  Le revers de la médaille de l’affective computing , sans lequel n’auraient jamais été financés certaines études sur les émotions et la multimodalité , est d’entretenir une certaine idéologie du « tout modélisable »  dans le champ de la corporéité expressive.

A ce titre, une nouvelle étape dans la modélisation des âmes a été  franchie puisque de nouveaux « psychologues  virtuels » exploitent des procédés de reconnaissance  des émotions et de codification formelle du non verbal. Elaboré par l’Institute for Creative Technologies, le programme   Sim Sensei   se sert de la technologie de la console ludique Kinect afin  de détecter  les signes de dépression chez une  personne, voire même " ses tendances suicidaires". En tous cas disent ses fondateurs (légèrement plus pondérés que la presse de vulgarisation scientifique) ce peut être une aide à la décision en la matière .

De quelle manière fonctionne Sim Sensei  ? La psychologue virtuelle pose des questions et les différents capteurs analysent de manière « multimodale » tous les comportements révélateurs d’une dépression : les expressions du visage (sourires, émotions, contractions…), les mouvements des yeux (taux de contact avec l’interviewer, flexion vers le bas, détournement latéral ou averted gaze) la posture (avancées, retrait), les paramètres prosodiques de la voix , la motricité et la façon de  bouger  (on sait par exemple grâce à la recherche clinique que le sujet dépressif  subit un ralentissement expressif, qu’il montre une faible expansivité et diversité gestuelle mais ceci parmi un spectre bien plus large de critères .  Autrement dit , un ensemble de paramètres révélés par des décennies d’études cliniques, ont été implémentés dans ce système expert d’allure biométrique .

Que celui-ci serve d’aide au diagnostic pourquoi pas, si tel psychologue n’est pas en mesure d’apercevoir un battement de pieds sous la table. Mais les processus non verbaux, aussi subtils et complexes que ceux d’une cellule, ne peuvent être systématiquement rabattus sur des règles heuristiques . Expérimenter les états mentaux d’autrui suppose une sensibilité spéciale qui permet à l’homme de l’art de capter des instants éphémères de brillance du regard,  de brèves inspirations spasmodiques, de tressaillement de sourcils , de tremblement léger dans la voix et mille autres micro-changements acoustiques, olfactifs, kinésthésiques qui ne laissent pas modéliser. Autant d'indices qualitatifs infinitésimaux qui ne sont pas toujours visibles, capturables ou  traduisibles en degrés d’intensité...  d’autant qu’ils sont induits par une subjectivité partagée entre les deux acteurs  perpétuellement en ajustements mutuels . Mais à cet égard le psy virtuel n’est pas totalement démuni puisque apprend-on, il peut retourner des feed back empathiques d’acquiescement inconditionnel pour encourager le patient à aller plus loin…




mardi 26 février 2013

une gestuelle de négociation presque martiale



Non, ce jeune homme de bonne famille ne fait pas un doigt d'honneur : il s'agit d'un de ces opérateurs  boursiers du  Palais Brogniart  parisien, qui exerçaient il y a quelques années  au sein des espaces de négociation  des  marchés financiers , avant  la numérisation des transactions.  Dans le fonctionnement de cet ancien système d'information, les ordres des clients  sont transmis au courtier de leur banque , présent sur place  . Ce dernier transmet les fiches d'ordres à exécuter, vers les négociateurs groupés sur le parquet . Ces "négos"   dialoguent donc  à la criée avec d'autres golden boys pour finaliser les transactions : les offres et demandes orales sont accompagnés d'une gestuelle précise qui renforce les messages oraux et exprime de nombreuses  modalités de manière.

L'ambiance étant à la surchauffe permanente, les mots seuls seraient  source de confusion sans le secours de cette syntaxe gestuelle à distance mais très distincte, qui permet de surmonter le bruit . Un système de codage fin,  dans lequel on trouve des  signes analogiques . Par exemple dans cet extrait de  reportage réalisé par MATIF Formation, on verra des gestes métaphoriques qui signifient : je réfléchis, je répète, petite quantité, important, comment se fait-il ? plus rien ne va , etc...

Par sa morphologie et sa dextérité, la gestuelle pourrait faire penser , mais en apparence seulement, à la langue des signes des malentendants : points d’appuis frontaux (pour être visibles les chiffres sont réalisés au dessus des épaules, au niveau du front ou au sommet de la tête), orientations de la paume ( lorsqu’on vend, la main est tournée vers l’extérieur, lorsqu’on achète on l’oriente vers soi)... Le doigté doit être aussi agile que celui des malentendants , aucune erreur de signalétique ne devrait interférer.


Constamment sous pression et souvent sujets à des  troubles somatiques, ces jeunes opérateurs au mental d'acier, doivent maintenir une concentration visuelle et auditive exceptionnelle, pour savoir au milieu de la cohue qui achète ou vend telle action et en quelle quantité, afin de réagir rapidement... et parfois  à l’insu d’autres investisseurs présents sur le parquet. Certains codes gestuels secrets communs à tel groupe de traders empêchent leurs concurrents d'intercepter au bond des messages et de leur ravir une opportunité.

Aujourd'hui ce langage gestuel original et très élaboré,  n'a pas entièrement disparu ; des variantes semblent encore pratiquées sur certains marchés asiatiques ,  et sur certains marché dérivés américains. Malgré son intérêt sémiologique on ne recense aucune étude à ce sujet, mais dans un genre différent une série télévisée a été réalisée pour Canal plus avec des acteurs formés à la gestuelle. Une réalisation qui aura eu au moins pour mérite d'archiver pour la postérité ce langage singulier et dont les premiers fondateurs , peut être  inspirés par l'American Sign Language, sont méconnus  (il s'agit du film Scalp  , réalisé par Xavier Durringer avec un ancien négociateur du Palais Brogniart à Paris).

mercredi 28 novembre 2012

Deux ouvrages des Presses Universitaires de Lyon pour comprendre la psychologie et les interactions

Les Presses Universitaires de Lyon viennent d'éditer deux productions qui permettent une mise en perspective à la fois interactionniste et croisée  des phénomènes affectifs et mentaux dont relève la communication , en particulier d'origine non verbale ainsi que  nos comportements conscients ou non.
Tout d'abord une édition révisée des "Nouvelles Clefs pour la Psychologie" de Jacques Cosnier qui intègre notamment les avancées des neurosciences sociales et cognitives à l'épreuve des interactions et de la "multimodalité" .
Puis une réflexion sur l'empathie par Jacques Cosnier et Marie Lise Brunel sous le titre "L'empathie, un sixième sens" . Occasion de montrer autour de ce concept de plus en plus transversal quels sont les points d'entrée spécifiques ou co-cofondateurs liés à l'éthologie des communications humaines ,  à la psychologie sociale puis cognitive sans oublier le rapport de l'empathie à l'analyse et aux thérapies humanistes.
Ces deux ouvrages peuvent  être commandés directement sur le site des PUL (accéder à l'url par la couverture)


                                   










vendredi 25 mai 2012

Hollande-Sarkozy - "moi Président" - retour sur quelques traces expressives

Pour de nombreux commentateurs le moment le  plus fort du débat d’entre deux tours des présidentielles en France est la fameuse séquence dite « moi président »   . Durant  ce choc entre deux prétendants , chacun critique non seulement le programme de son adversaire, mais sa personnalité même : présomption d’autoritarisme  que manifeste Hollande à propos de Sarkozy  et présomption d’incompétence que ce dernier fait peser sur  son adversaire socialiste.

Venons en à la séquence . Jusqu'alors Laurence Ferrari a laissé transparaitre devant les caméras une dizaine de sourires ébaubis lors des répliques les plus pugnaces  des orateurs, tout en se montrant encore plus inefficace que D. Pujadas pour arbitrer les coupures de paroles. Elle passe ici à un rôle plus assertif  et lance la question sur « quel style de président ? », avant de se tourner d’abord vers Sarkozy à qui elle demande s’il envisagerait le cas échéant, de continuer à gouverner différemment .
source: bigbrowser.blog.lemonde.fr/

Visiblement cette question n’est pas attendue  avec impatience par le président sortant. Tandis que Hollande déroulera une structure rhétorique parfaite,  Sarkozy révèle par quelques phrases laconiques ou hors sujet qu’il n’était pas préparé : il s’aggripe à un stylo ,  la tonalité générale reflète l’inconfort :
-une dizaine de mouvements spasmodiques agitent les épaules et les coudes 
- l’extrémité de la langue vient humecter les lèvres deux fois, avec micro-contact de l'index sous la paupière (récurrent chez l'ex-président)
-  le regard reflète le besoin d’échapper à l’emprise adverse : il est fléchi vers le bas , la tête est fléchie ou détournée vers D. Pujadas.

F. Hollande est prêt alors à décliner une longue tirade adossée à une quinzaine  d’anaphores  structurée autour du segment "Moi président de  la république …" . Il ouvre en préambule sur une figure en forme de chiasme :  "Moi  président (…) , je ne serai pas le chef de tout et en définitive responsable de rien " . Droit sur son siège,  port de tête en légère  flexion  arrière et regard ascendant,  bras ostensivement fermés , Hollande fixe avec gravité son interlocuteur. Le réquisitoire prend de la hauteur . Métaphore d’un procès historique ?  « 3 minutes 20 pour venger 5 ans d’humiliation » écrira le Nouvel Observateur  .  Le futur perdant , singulièrement mis à l'index, n'esquisse pas la moindre interruption pour tenter de défaire  la belle régularité de  l’anaphore adverse. Visiblement estomaqué par l’envolée de celui dont il avait déclaré quelques semaines auparavant : « Hollande est nul et ça commence à se voir »  .

Alors que dans la  plus grande partie de l’émission la partie inférieure du visage de Hollande était  resté neutre,  ici un élément de contraste modifie la sémiologie faciale au cours de quatre phrases: la flexion légère  des coins de bouche vers le bas  (action du  muscle facial triangularis, dite Unité d'Action 15 du  FACS ) .  Classiquement le pattern UA 15 est transversal à plusieurs émotions négatives (déplaisir, tristesse, dégout …) mais dans ce contexte il présente une forte contiguïté avec la configuration  UA 14 dite par Ekman  dimpler  et corrélée à l’outrage , au mépris , au dédain . A plusieurs reprises après avoir littéralement regardé de haut son adversaire, menton relevé, Hollande  prolonge la mise à distance en détournant son regard , lèvres pressées de manière formelle, les yeux mi-clos ...
UA 15 ( Facial Action Coding System, Paul Ekman)
Dimpler - source: peakoiblues.org

La mélodie vocale à présent: les 14 premières phrases de cette section , s'achèvent sur une baisse des intonations plongeant vers les basses. Ceci permet d’accentuer la tonalité formelle des énoncés, leur gravité même . A l'opposé les dernieres phrases montrent des intonations montantes (milieu et fin de phrases), et une fréquence fondamentale plus orientée dans les aigus . Une prosodie vocale cohérente : après avoir fustigé ce qui est de l'ordre du passé en mode mineur et voix grave (premières phrases) , l'orateur oriente ses propos vers l'avenir  et module  le ton.

Lors d'une interview donnée le lendemain , Hollande a mentionné que ce moment fort du match avait été improvisé. Hypothèse qui ne résiste pas à l'observation . On remarque une forte différence de fluence verbale entre  la séquence suivante et le verbatim intégral  du "Moi président"  : Moi Président, euh, j’aurai à cœur de ne pas avoir le statut pénal du chef de l’état .  Je le ferai réformer de façon à ce que euh si des actes antérieurs à ma prise de fonction venaient à être contestés je puisse euh, dans certaines euh conditions, me rendre euh à la convocation de tel ou tel magistrat euh ou m'expliquer euh devant euh un certain nombre euh d'instances .  Cette séquence  dont la syntaxe est plus complexe, est ponctuée de 8 marques d’hésitation en forme de "euh .." en l’espace de 18   secondes soit  environ 5 fois plus que durant le Moi Président  intégral qui dure 3’20.

 Le contraste d'hésitations très élevé, caractérise à l'évidence une séquence non apprise et impliquant davantage de charge cognitive. D'ailleurs  c'est le seul moment du fameux  "moi Président"  où le regard de l'orateur se baisse, à deux reprises vers ses notes.  
Ceci inspire  une question  adjacente :  les marques faciales péjoratives qu'on avait analysées auparavant , ont-elles été également pensées à l’avance  ou étaient elles spontanées ? Seul l’orateur lui-même, son  conseiller en communication ou son miroir ,  le savent vraiment...

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Les 4 occurences faciales, dont 3 macro-expressions et une micro-expression:  (source TF1) 


"...dans un hôtel parisien"(1).
"chaines de TV publiques"(2)

"..exemplaire" (3)
"...sera paritaire" (4)